La soumission volontaire des parties au statut des baux commerciaux
(Cour de cassation du 28 mai 2020, 3ème chambre civile, n°19-15.001 FS-PBI)
En matière de contrats de droit privé, le juge est amené à devoir jongler entre la volonté des parties et les exigences du législateur. La liberté contractuelle constituant un véritable pilier pour le bail commercial, il est attendu de la Haute juridiction judiciaire qu’elle vienne étendre ou restreindre cette dernière en se prononçant sur un litige portant sur la condition tenant à l’immatriculation du preneur pour bénéficier du statut des baux commerciaux.
En l’espèce, un bailleur avait donné à bail à une société anonyme une villa meublée destinée à une activité d’exploitation hôtelière ou para-hôtelière. Courant 2016, les bailleurs ont délivré un congé avec refus de renouvellement ainsi qu’une offre d’indemnité d’éviction.
L’article L. 145-9 du Code de commerce pose le principe selon lequel le bail commercial cesse par l’effet d’un congé. A défaut de celui-ci ou de demande de renouvellement, le contrat de location fait par écrit se prolonge tacitement au-delà du terme fixé par le contrat. Le bailleur en refusant de renouvellement le bail, devra verser au locataire évincé, sur le fondement de l’article L145-14, une indemnité d’éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement.
Les bailleurs ont, suite à leur offre d’indemnité d’éviction, entendu la retirer pour défaut d’immatriculation régulière au registre du commerce et des sociétés.
Pour prétendre au renouvellement du bail commercial, il est nécessaire que la société visée par ce dernier soit immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés (abrévié RCS). Cette condition est une exigence légale prenant source à l’article L.145-1 du Code de commerce et pesant sur tous les commerçants et sociétés souhaitant bénéficier des avantages octroyés par le statut des baux commerciaux.
Les bailleurs ont, alors, assigné leur locataire en validation du congé et en expulsion sans le règlement d’indemnités d’éviction. Par une décision du 7 février 2019, la Cour d’appel de Pau fait droit à leur demande et estime que le locataire ne bénéficiait pas du droit au renouvellement du bail et finit par refuser le droit à indemnité invoqué par le preneur.
En conséquence, le locataire décide de former un pourvoi en cassation au moyen que le juge a méconnu les exigences de l’article 1192 du Code civil qui interdisait au juge d’interpréter les clauses claires et précises d’un contrat à peine de dénaturation. A l’article 2 de l’acte signé entre les deux parties, il est stipulé que « les soussignés affirment et déclarent leur intention expresse de soumettre la présente convention au statut des baux commerciaux ; et ce même si toutes les conditions d’application de ce statut ne sont pas remplies ou ne le sont que pour partie ». La Cour d’appel de Pau, en affirmant qu’il n’est pas stipulé que le bailleur accepte de façon non-équivoque de dispenser le preneur du défaut d’immatriculation au RCS, a dénaturé les termes clairs et précis du contrat et violé l’article 1192 du Code civil.
Afin de trancher le litige, la Cour de cassation s’est vue invitée à rechercher l’intention commune des parties et en a déduit que la condition tenant à l’immatriculation du preneur pour bénéficier du statut des baux commerciaux n’est pas exigée en cas de soumission volontaire des parties à ce statut, même si le preneur est commerçant.
Ayant essentiellement relevé que les parties « affirmaient et déclaraient leur intention expresse de se soumettre au statut des baux commerciaux et ce, même si toutes les conditions d’application de ce statut n’étaient pas remplies », la Haute juridiction judiciaire n’a fait que renforcer la liberté contractuelle des parties en confirmant une jurisprudence antérieure.
Dans un cas où le locataire n’était pas commerçant et ne pouvait donc pas s’immatriculer au registre du commerce et des sociétés, la Cour de cassation avait eu l’occasion de statuer que « l’immatriculation du preneur au registre du commerce et des sociétés n’était pas une condition impérative de son droit au renouvellement. » (Cass. Civ. 3ème, 9 février 2005 n° 03-17.476)
Par cet arrêt du 28 mai 2020, la Cour de cassation met fin à une discrimination qui existait entre les preneurs à bail commercial non commerçants, non tenus de s’immatriculer au registre du commerce et des sociétés pour bénéficier du droit au renouvellement, et les preneurs commerçants qui devaient s’immatriculer au registre du commerce et des sociétés pour bénéficier du droit au renouvellement. Avant cette décision, les preneurs non commerçants étaient étonnamment mieux protégés que les preneurs commerçants pour qui le régime du bail commercial a été élaboré.
Enfin, cette prise de position de la Cour de cassation trahit une certaine volonté de protection juridique à l’égard du preneur, et nous précise la consistance du droit au renouvellement du bail, qui se veut d’ordre public, et de l’immatriculation au RCS qui, à l’inverse, ne l’est pas.
Il est toutefois nécessaire de ne pas se méprendre sur le caractère nécessaire de l’immatriculation de la société au RCS. En effet, celle-ci demeure indispensable pour tout commerçant ou société souhaitant bénéficier du régime avantageux des baux commerciaux. Cette décision du 28 mai 2020 ne fait qu’apporter une nouvelle possibilité aux parties contractantes : celle de se soumettre conventionnellement au statut des baux commerciaux en dispensant le commerçant ou la société de s’inscrire au RCS.
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